Femme Guru

L’une des questions fréquemment posées est : « Une femme peut-elle être un guru ? » Une telle question ne se posait pas dans l’esprit des gens il y a quelques décennies car les gens en général, en Inde en particulier, étaient clairs sur leurs identités et leurs rôles. Avec les progrès de la technologie et de la science, nos modes de vie ont radicalement changé. Cela a également entraîné un immense changement dans nos identités et nos rôles. Il n’existe pas de frontières étanches concernant les rôles et les responsabilités fondées sur le genre. L’idée générale est que tous les êtres humains sont égaux et qu’il ne devrait y avoir aucune discrimination fondée sur le genre. Bien que telle soit la tendance, nous constatons néanmoins qu’il existe certains domaines dans lesquels un genre particulier semble prédominant.

La position de guru est généralement dominée par les hommes. Qui plus est, dans l’esprit de beaucoup de personnes il y a une croyance non écrite selon laquelle seul l’homme peut agir comme un guru. Certains tentent d’en faire une règle. Est-ce valable ?

La réponse dépend du type de pramana que nous acceptons. À cet égard, il y a un dicton populaire en sanskrit qui dit : « mānādhīnā meya-siddhir māna-siddhistu lakṣaṇāt » – « La connaissance d’un sujet dépend d’un moyen de connaissance juste et un moyen de connaissance juste vient de sa définition ». Par conséquent, la première chose à déterminer est le moyen juste d’acquérir la connaissance, ou le pramana. Ceux qui n’acceptent pas l’autorité scripturaire, le shastra-pramana, répondront à la question ci-dessus sur la base de la logique, des droits de l’homme et/ou de l’expérience personnelle. De telles réponses ne nous concernent pas. Un guru signifie un enseignant spirituel et la spiritualité n’est pas soumise à la logique, aux droits de l’homme ou à l’expérience empirique. Le shastra est le seul pramana en matière de la spiritualité. Par conséquent, nous étudierons la question ci-dessus uniquement en fonction des shastras.

Différentes écoles acceptent comme pramanas différents shastras. En tant que Gaudiya Vaishnavas, nos pramanas en matière des sujets spirituels sont les bhakti-shastras. Parmi eux, le Bhagavata Purana est suprême. Shri Jiva Gosvami l’a catégoriquement établi dans le Tattva Sandarbha (anucchedas 9-29). Il est utile de lire cette partie pour comprendre pourquoi nous acceptons le Bhagavata Purana comme le pramana suprême. Outre le Bhagavata Purana, nous acceptons comme pramanas les Upanishads, le Vedanta-sutra, la Bhagavad Gita et les livres de nos acaryas prédécesseurs, tels que les Gosvamis de Vrindavana. Ces sources sont principalement fondées sur le Bhagavata Purana. Nous acceptons également les Puranas, les Smritis et les Agamas qui ne contredisent pas le Bhagavata Purana en tant que pramana. Tout ce qui va à l’encontre de l’esprit du Bhagavata Purana n’est pas accepté par les Gaudiya Vaishnavas. Alors, examinons cette question en nous fondant sur ce pramana principal.

Dans le Bhagavata Purana il existe diverses références au guru, mais rien n’interdit à une femme de devenir guru. Cependant, quelqu’un peut faire valoir que toutes les références au guru sont au genre masculin, c’est-à-dire que le mot « guru », utilisé à plusieurs reprises, est au genre masculin. Nulle part dans le Bhagavata Purana il n’y a aucune utilisation de la forme féminine, gurvi. Il est possible de dire que cela prouve qu’une femme guru n’est pas recommandée dans le Bhagavata Purana. De même, le Hari-bhakti-vilasa, la smriti des Gaudiya Vaishnavas, énumère la qualification d’un guru dans les versets 1.38-1.55. Là encore, il n’y a aucune mention d’une femme guru. La même analyse peut être appliquée à d’autres shastras comme la Bhagavad Gita. Il est tout à fait possible de soutenir l’idée selon laquelle ces pramanas montrent de manière concluante que les shastras ne prescrivent qu’un homme guru et qu’une femme n’est pas qualifiée pour l’être.

Une telle conclusion, cependant, n’est pas appropriée. Tout d’abord, il n’y a aucune interdiction explicite pour une femme de devenir guru dans l’un de ces shastras. Deuxièmement, lorsque le mot « guru », qui est au genre masculin, est utilisé, il inclut une femme guru. Lorsque les caractéristiques d’une classe sont décrites, la description est donnée pour un seul sexe, mais elle s’applique également à l’autre. C’est le principe de base utilisé dans la grammaire sanskrite : « pratipadika-grahane linga-visishtasyapi grahanam » (Le Vyadi-paribhasha 25, cité dans le Harinamamrita-vyakaranam 2.73, 6.32). Par exemple, si nous voulons décrire les qualités d’un chien d’une race particulière, il est courant d’utiliser le mot masculin « chien ». Il est entendu que ce mot s’applique également à une femelle de cette race particulière. Une description spécifique au genre sera donnée s’il existe des différences dans les caractéristiques entre l’homme et la femme, pertinentes pour ce sujet spécifique. Par conséquent, lorsqu’il est dit qu’un guru doit être un expert en shastras et avoir une réalisation de l’Absolu (śābde pare ca niṣṇātam, SB 11.3.21), ou qu’il devrait être un jnani et un tattvadarshi (BG 4.34), cela ne signifie certainement pas qu’il ne s’applique qu’à un guru homme. Ces énoncés sont applicables à toute personne qui occupe la position de guru, quel que soit son sexe. Par exemple, dans le Hari-bhakti-vilasa (1.59-63), bien que les qualités d’un disciple soient décrites par l’utilisation de la forme masculine, ces qualités s’appliquent évidemment à une disciple femme. La même chose est vraie de la description des qualités d’un dévot donnée à de nombreux endroits dans les écritures. De telles descriptions s’appliquent à chaque dévot, quel que soit son sexe. De même, les qualifications d’un guru, telles que décrites dans les écritures, s’appliquent aux gurus hommes et femmes. Dans ces descriptions, il n’y a aucune intention d’interdire à une femme de devenir guru.

L’Amarakosha (2.6.14), un dictionnaire très respecté du sanskrit, donne des mots distincts pour l’épouse d’un acarya et pour une femme acarya ; le mot « acarya » est synonyme du mot « guru ». L’Amarakosha fait référence à la femme d’un acarya en utilisant le terme « acaryani », alors qu’une femme ācārya est appelée « ācāryā ». De même, il appelle une enseignante d’une partie du Veda upadhyaya ou upadhyayi. La femme d’un upadhyaya, cependant, est appelée upadhyayani (Le Harinamamrita-vyakaranam 7.225, 226). Cela est également indiqué dans le Siddhanta-kaumudi (505, Panini-sutra 4.1.49). Les mots distincts pour les épouses d’un acarya et d’un upadhyaya, et pour les femmes qui sont elles-mêmes des acaryas et des upadhyayas, n’existerait pas dans le lexique et la grammaire sanscrits si les femmes gurus n’existaient pas dans le passé.

De plus, chaque mot sanskrit a un sens et il existe une relation éternelle entre le mot (shabda) et son référent. Cela est déclaré par Patanjali dans son Mahabhashya, qui est le commentaire le plus authentique sur les Panini-sutras et qui est accepté au même titre que les sutras eux-mêmes. Dans toute la littérature sanskrite, le commentaire de Patanjali est le seul appelé mahabhashya, tandis que d’autres sont appelés bhashya. Patanjali écrit : « siddhe śabdārtha-sambandhe lokto’rtha-prayukte śabda-prayoge śāstreṇa dharma-niyamo yathā laukika-vaidikeṣu » (1.1 « Paspasha », Mahabhasya). Ici, il déclare clairement que la relation entre un mot et son référent est siddha, ou éternelle. Cela est également sous-entendu dans le Yoga-sutra (3.17). Bhartrihari explique qu’un shabda a la capacité naturelle d’exprimer son référent, tout comme nos sens ont la capacité naturelle de ressentir leurs objets respectifs :

indriyāṇāṁ sva-viṣayeṣu anādir yogyatā yathā
anādirarthaiḥ śabdānām sambandho yogyatā tathā
(Le Vakya-padīyam Pada-sambandha 29)

Le Nyaya-sutra (2.11.56) dit également : « sāmayikatvāt śabdārthasambandhasya » – « La relation entre un mot et son référent est conventionnelle ». De là, on comprend qu’il doit y avoir eu des femmes gurus dans le passé car un mot correspondant existe pour elles dans le lexique et dans la grammaires sanskrits. Ainsi, il serait erroné de conclure que les femmes gurus n’existaient pas dans le passé.

Un purvapaksha peut être proposé pour contrer cette logique. Il y a des énoncés dans la Bharadvaja Samhita qui interdisent catégoriquement à une femme d’être un guru. Les versets pertinents sont les suivants : [Note : La traduction des versets de la Bharadvaja Samhita n’est pas de moi. Les versets ont été envoyés par une personne qui m’a posé des questions relatives à ce sujet.] 

na jātu mantra-dā nārī na śūdro nāntarodbhavaḥ |
nābhiśasto na patitaḥ kāma-kāmo ’py akāminaḥ ||42||

« Même alors, une femme, un shudra et un antyaja ne peuvent jamais agir en tant que gurus initiateurs, pas plus qu’une personne accusée d’un grand péché ou qui est déchue. Et un aspirant disciple déjà accompli dans le détachement (akami) ne devrait jamais accepter un guru qui est infecté par des désirs matériels ».

striyaḥ śūdrādayaś caiva bodhayeyur hitāhitam |
yathārhaṁ mānanīyāś ca nārhanty ācāryatāṁ kvacit ||43||

« Les femmes, les shudras, etc., peuvent donner des instructions éthiques et morales et sont également dignes de respect selon leurs qualifications et conditions, mais n’ont pas le droit d’obtenir le poste d’acarya ».

Ces énoncés semblent clairement interdire à une femme de jouer le rôle de guru initiateur. Ma réponse à cela est que si cette interdiction était acceptable pour nos acaryas précédents, alors pourquoi ne se sont-ils pas référés à ces versets ? Dans le premier vilasa du Hari-bhakti-vilasa, il y a une discussion élaborée sur les caractéristiques des gurus qualifiés et non qualifiés. Cependant, aucune interdiction n’est mentionnée pour interdire à une femme de devenir guru, ni dans le texte original ni dans son commentaire par Shri Sanatana Gosvami. De même, Shri Jiva Gosvami parle à la fois du guru qualifié et non qualifié dans le Bhakti Sandarbha. Mais il ne fait aucune déclaration interdisant à une femme de devenir guru. Nous ne trouvons pas non plus une telle déclaration dans les écrits d’autres acaryas de notre sampradaya, tels que Narayana Bhatta, Shri Kavi Karnapura Gosvami, hSri Vishvanatha Cakravarti et Baladeva Vidyabhushana. 

De plus, si nous acceptons la Bharadvaja Samhita comme notre pramana, alors nous devrions également accepter qu’il permette seulement à un brahmana d’être un guru. Le texte dit :

prapitsur mantra-nirataṁ prājñaṁ hitaparaṁ śucim |
praśāntaṁ niyataṁ vṛttau bhajed dvija-varaṁ gurum ||38||

« Ainsi, celui qui désire s’abandonner avec foi, devrait prendre refuge auprès d’un guru qui est toujours occupé par le chant du mantra, qui connaît la bhakti-siddhanta (prajnam), qui est toujours engagé, sans aucun désir de profit personnel, à répandre la miséricorde sur les âmes déchues (hita-param), qui est toujours pur de cœur ou exempt de péchés, paisible et toujours engagé dans ses devoirs prescrits (ordonnés par son guru ou par le varnashrama). Un tel guru devrait être le meilleur des deux-fois-nés (dvija-varam signifiant brahmana).

Le livre définit également qui est un brahmana dans le verset suivant de la Bharadvaja Samhita (cité de la Wisdom Library) :

jāta-karmādibhir-yastu saṃkāraiḥ saṃskṛtaḥ śuciḥ
vedādhyayana-sampannaḥ ṣaḍ saṭ karmasvasthitaḥ
śaucācārasthitaḥ samyag vighasāśī gurupriyaḥ
nityabralī satyaparaḥ sa vai brāhmaṇa ucyate

[Bharadvaja Muni dit : « Ô meilleur des deux-fois-nés, Rishi parmi les brahmanas, meilleur des orateurs de la connaissance védique, veuille nous instruire sur les différences entre les brahmanas, les kshatriyas, les vaishyas et les shudras ». Bhrigu Muni a répondit : ]

« Celui dont la naissance et les œuvres ultérieures ont toutes été purifiées par les samskaras appropriés, qui a les qualités de pureté et de propreté, qui se consacre à l’étude védique, qui accomplit le culte du Seigneur Suprême, Vishnu, et qui instruit les autres dans ce culte, qui est un modèle de vertu des six activités d’un brahmana, dont le comportement n’est jamais impur, qui mange les reliefs du prasada de son guru, qui est cher au guru, qui suit toujours attentivement ses vœux et qui est fixé dans la vérité, est connu comme un brahmana ». (14.96 La Bharadvaja Samhita)

Selon cette définition d’un brahmana, la majorité des gurus hommes de la Gaudiya-sampradaya ne satisferaient pas aux critères de qualification sus-cités. Le verset exige qu’un guru ait subi les différents samskaras et ce, dès sa naissance. Ces samskaras sont décrits dans les smriti-shastras. Ils doivent également naître dans une famille brahmana. Selon les Smritis, ces samskaras ne peuvent pas être exécutés pour quelqu’un qui n’est pas né de parents brahmana. Le verset ci-dessus de la Bharadvaja Samhita parle également des six activités d’un brahmana : étudier les shastras, enseigner les shastras, accomplir un yajna pour soi-même, accomplir un yajna pour les autres en tant que prêtre, donner la charité et accepter la charité. Si nous appliquions cette définition d’un brahmana, alors la plupart des gurus de la Gaudiya-sampradaya ne seraient pas qualifiés. Si, cependant, nous n’acceptons pas cette définition, alors notre adhésion aux shastras serait partielle. Cela est considéré comme un défaut : ardha-kukkuti-nyaya. Cela signifie que nous acceptons ce qui est pratique et rejetons ce qui est gênant.

Au lieu de chercher des déclarations dans la littérature védique pour étayer ses opinions, nous devrions étudier attentivement notre tradition et les livres fondateurs de notre sampradaya. Comme mentionné précédemment, il n’y a aucune déclaration dans le Bhagavata Purana qui interdit aux femmes de devenir guru. Même lorsque nos acaryas, à savoir Shri Sanatana Gosvami et Shri Jiva Gosvami, examinent longuement les qualifications d’un guru, ils ne citent aucun verset interdisant aux femmes de devenir guru. Toute personne ayant des connaissances de base en grammaire sanskrite n’interpréterait pas à tort l’utilisation masculine du mot guru pour indiquer une exclusion des gurus femmes ; le mot fait plutôt référence aux genres masculin et féminin en tant que classe.

C’est un fait établi que dans diverses lignées traditionnelles de Gaudiya Vaishnavisme, il y a eu de nombreuses femmes gurus qui ont donné la diksha. Certaines d’entre elles étaient très importantes, mais il y en a aussi beaucoup d’autres qui ne sont peut-être pas bien connues en dehors de leurs lignées particulières. Par exemple, les femmes ont toujours été des gurus dans l’Advaita-vamsa, depuis la femme d’Advaita Acarya, Sita Thakurani, et jusqu’à ce jour. Ces gurus femmes fonctionnaient principalement au sein de la famille, donnant la diksha à leurs fils ou belles-filles, bien que maintenant il y ait des femmes fonctionnant comme diksha-gurus qui ne sont pas les descendantes directes de Shri Advaita Acarya. Après Shri Caitanya Mahaprabhu, probablement la plus célèbre des femmes gurus de Gaudiya était l’épouse de Nityananda Prabhu, Jahnavi Devi. Virabhadra (ou Viracandra) Gosvami, qui est décrit dans le Gaura-ganoddesha dipika comme un avatara de Kshirodakasayi Vishnu,  a pris diksha auprès d’elle. Dans ma propre parampara de Shri Gadadhara Pandita, il y a quatre femmes gurusacaryas.

En conclusion, ni la tradition Gaudiya Vaishnava ni les pramanas des Gaudiya Vaishnavas ne s’opposent à ce que les femmes agissent en tant que guru. Les qualifications d’un guru – une connaissance approfondie des écritures et de l’expérience de Param Tattva – ne dépendent pas du sexe.

Satyanarayana Das

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  • Satyanarayana Dasa

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    Don’t get discouraged to study Sanskrit. To live and survive like animals in the material world you need only 4% of your brain. You need 1% of your brain for eating, 1% for sleeping, 1% for defending yourself, and 1% for pro-creating. You still have 96% of your brain to use. Why is the other 96% of your brain there?  Why did God make us like that?  That is to study sastra. And we need to understand Sanskrit to study sastra.

    — Babaji Satyanarayana Dasa
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