Dans le Bhagavat Sandarbha, Shrila Jiva Gosvami analyse de manière merveilleuse la confrontation entre les quatre Kumaras et les gardiens du Vaikuntha. L’épisode se situe dans le quinzième chapitre du Troisième chant du Srimad Bhagavata. Un jour, les quatre Kumaras allèrent au Vaikuntha et, dans leur empressement à voir le Seigneur Vishnu, ils traversèrent avec succès les six premières portes mais furent arrêtés à la septième.
Dans le Bhagavat Sandarbha, Shrila Jiva Gosvami analyse de manière merveilleuse la confrontation entre les quatre Kumaras et les gardiens du Vaikuntha. L’épisode se situe dans le quinzième chapitre du Troisième chant du Srimad Bhagavata. Un jour, les quatre Kumaras allèrent au Vaikuntha et, dans leur empressement à voir le Seigneur Vishnu, ils traversèrent avec succès les six premières portes mais furent arrêtés à la septième. Ces sept portes sont comme les étapes par lesquelles le pratiquant passe en développant la dévotion (ādau śraddhā tataḥ sādhu-saṅgo’tha bhajana-kriyā). Comme les Kumaras n’avaient pas atteint le stade de la pure dévotion, ils furent arrêtés par les deux gardiens Jaya et Vijaya.
Bien que les Kumaras soient les fils aînés du Seigneur Brahma, ils refusèrent d’entrer dans la vie de famille et, par leur pouvoir mystique, ne permirent pas à leurs corps d’atteindre l’âge adulte. Ainsi apparaissent-ils comme des enfants de cinq ans. Ils étaient complètement absorbés par le brahmananda et, ne se souciant pas de leur tenue vestimentaire, ils étaient vêtus de vent. Ils sont appelés les digambaras, ceux dont les seuls vêtements sont les quatre directions.
Lorsque les gardes virent les quatre gamins nus s’approcher de la résidence personnelle du Seigneur Vishnu, ils bloquèrent son entrée alors que les Kumaras étaient dignes de tout respect. Comme il n’est pas approprié de se présenter nu devant le Seigneur ou devant toute personne respectable, les gardiens ne leur permirent pas d’entrer. Les Kumaras étaient furieux car leur désir de rencontrer le Seigneur était entravé. Comme le Vaikuntha est un endroit libre de dualités, les Kumaras ont été surpris de voir que les gardiens manquaient de vision égale. Étant brahmajnanis, les Kumaras ne comprirent pas que porter un regard égal sur tout et sur tous ne signifiait pas traiter tout le monde de la même manière. Considérant que Jaya et Vijaya étaient inaptes à résider au Vaikuntha, les Kumaras maudirent Jaya et Vijaya d’aller au monde matériel.
Les erreurs des subordonnés concernent le maître
Le contexte de cet incident est le suivant. Un jour, le Seigneur voulut Se reposer et ordonna à Jaya et Vijaya d’empêcher quiconque de Le déranger. Ce faisant, ils interdirent à Lakshmidevi d’entrer dans la chambre du Seigneur et elle se fâcha. Étant très cultivée, cependant, elle ne se plaignit que plus tard auprès du Seigneur Vishnu dans l’espoir qu’Il les châtierait. Mais le Seigneur n’était pas enclin à le faire car Jaya et Vijaya avaient agi selon leur devoir et lui étaient très chers. Le Seigneur Vishnu n’était pas non plus enclin à les châtier juste pour apaiser Lakshmidevi, car cela Le ferait apparaître comme étant manipulé par Lakshmidevi. Cependant, le Seigneur savait que la déesse de la fortune ne serait pas satisfaite tant que Jaya et Vijaya n’auraient pas été punis. De ce fait, Il organisa la confrontation avec les Kumaras afin d’y parvenir. Le Seigneur souhaita également combattre et comme personne n’était qualifié pour se battre avec Lui, Il choisit de déguiser Ses propres dévots en démons et de Se battre en duel avec eux.
Lorsque les Kumaras furent confrontés à la porte, le Seigneur comprit immédiatement l’offense de Jaya et Vijaya et Se précipita sur les lieux. Le Seigneur Vishnu n’était pas confus quant au coupable, et bien qu’extérieurement Il se rangea du côté de ses invités, les Kumaras, intérieurement, Il favorisa Ses dévots, les gardiens. Il est ainsi appelé aryahrdyah : celui qui plaît aux adeptes de la religion.
En parlant aux Kumaras, le Seigneur se référa aux gardiens en utilisant le terme « svanam », qui signifie « Mes gens ». Cela indique indirectement que le Seigneur ne considérait pas les Kumaras comme Siens, et que Jaya et Vijaya Lui étaient plus chers qu’eux. Shrila Jiva Gosvami souligne que le terme « svanam » est la forme plurielle et elle fait référence à plus de deux personnes. Si le Seigneur s’était référé uniquement à Jaya et Vijaya comme « les Siens », Il aurait utilisé le duel, « svayoh ». Shrila Jiva Gosvami explique que l’emploi du pluriel par le Seigneur implique qu’Il considérait tous les habitants du Vaikuntha comme étant impliqués dans l’offense. Cela démontre les relations d’amour intense entre les dévots qui y résident tous comme une famille heureuse. Ainsi le Seigneur courut-Il sur les lieux en Se souciant de la situation car les erreurs commises par les subordonnés concernent le maître.
L’intelligence subtile du Seigneur
Accompagné de Lakshmidevi, de Garuda et d’autres compagnons, le Seigneur sortit de Sa résidence à pied pour faire face au conflit. Il dut soutenir Jaya et Vijaya pour avoir empêché des personnes non qualifiées d’entrer au Vaikuntha et, pourtant, Il fut obligé de les châtier en raison de la présence de la déesse de la fortune. En même temps, Il devait honorer les Kumaras en tant qu’invités, apaiser leur colère et les encourager d’être venus à la recherche de Ses pieds de lotus. C’était une situation difficule.
Des questions se posent : « Pourquoi le Seigneur a-t-Il franchi la porte ? Et pourquoi S’est-Il déplacé à pied puisque Garuda était à Ses côtés ? » Shrila Jiva Gosvami répond. En sortant à pied de Sa résidence, le Seigneur accomplit simultanément deux choses : Il empêcha les Kumaras d’entrer au Vaikuntha, confirmant la décision de Jaya et Vijaya, et Il satisfit le but des Kumaras en leur montrant Ses précieux pieds en action. Les Kumaras furent flattés que le Seigneur fût sorti pour les saluer tandis que Jaya et Vijaya comprirent le geste du Seigneur qui soutenait leur action. L’étiquette védique appropriée dicte que l’hôte doit recevoir un invité à la porte. De cette manière, le Seigneur démontra Son intelligence subtile en satisfaisant tous les intéressés et en évitant de transgresser l’étiquette.
Une autre question qui se pose est la suivante : « Pourquoi le Seigneur amena-t-Il la déesse de la fortune avec Lui ? » Shrila Vishvanatha Chakravarti Thakura dit que le Seigneur amena Shri Lakshmidevi en pensant qu’il serait plus facile pour elle d’apaiser les Kumaras qui étaient en colère puisque la mère est plus affectueuse et experte avec les enfants. Ou bien, Shri Lakshmidevi suivit le Seigneur étant curieuse de savoir comment Il traiterait une situation aussi complexe. Shri Vamshidhara dit que le Seigneur amena Shri Lakshmidevi car les Kumaras sont des naisthika brahmacaris (qui n’ont jamais eu de contact avec des femmes) et devaient contrôler leur colère en présence de Lakshmidevi. En général, nous voyons que les hommes se comportent mieux en présence de femmes. En temps voulu, le Seigneur châtia les gardes et ainsi la déesse de la fortune fut également satisfaite.
La belle forme du Seigneur
Lorsque les Kumaras virent la démarche majestueuse du Seigneur, ils abandonnèrent complètement leur colère. Ils fixèrent leurs yeux sur Lui car ils n’avaient jamais connu une beauté et une magnificence aussi exquises. La béatitude dérivée du brahmananda (plaisir qui vient de la réalisation du Brahman) fut éclipsée par la belle forme du Seigneur.
Les larges hanches du Seigneur Vishnu étaient couvertes par un dhoti en soie fine qui était soutenu par une belle ceinture. Il portait un vanamala, une guirlande grouillante de bourdons qui pendait jusqu’à Ses pieds. Shrila Vishvanatha Chakravarti Thakura explique que le dhoti du Seigneur considérait les hanches du Seigneur comme son exclusive résidence. La ceinture imposait sa suprématie au dhoti et la guirlande régnait au-dessus des deux. Mais les bourdons considéraient le vanamala comme leur propriété. Ainsi semblait-il que le Seigneur avait accordé la priorité aux bourdons. Il n’est pas guère étonnant que les abeilles bourdonnassent de joie excessive.
Le Seigneur posa Sa main gauche sur l’épaule de Garuda et faisait tournoyer joyeusement une fleur de lotus avec Sa main droite. Shrila Vishvanatha Chakravarti Thakura dit qu’en faisant tournoyer la fleur de lotus, le Seigneur a détourné les cœurs semblables à des lotus des Kumaras du brahmananda. C’était comme si le Seigneur leur disait en plaisantant : « Ô sages, vous avez conclu que Ma caractéristique impersonnelle sans qualités est la réalité suprême. Pourquoi êtes-vous agités maintenant ? Pourquoi ne restez-vous pas fixés dans la réalisation du Brahman ? »
Submergés de force dans un tourbillon de félicité
Non seulement le corps du Seigneur attira le cœur des Kumaras, mais l’air en contact avec les feuilles de Tulasi et le safran touchant les pieds du Seigneur troubla leurs cœurs. Shrila Vishvanatha Chakravarti Thakura dit que cet air n’entra même pas directement en contact avec le corps du Seigneur. Il entra simplement en contact avec un objet sur un seul des membres du Seigneur et pourtant, il créa une telle merveille et noya les Kumaras dans le bonheur. Que dire alors de la douceur éprouvée en touchant le corps du Seigneur ?
L’air porteur de l’arôme de Tulasi et de safran dominait le cœur des Kumaras. À cet égard, Vishvanatha Chakravarti Thakura soulève un doute : « Tout comme il était inapproprié pour les Kumaras de s’immiscer dans le Vaikuntha, n’est-il pas inapproprié que cet air pénètre dans les cavités intérieures de leur cœur ? » Et il y répond : Non, car le Srimad Bhagavata 3.15.43 dit “sva-vivarena”, l’air suivit son propre chemin. Étant donné que les narines sont les portes d’entrée naturelles de l’air, aucune autorisation ne fut requise pour y entrer. En entrant, il remua le cœur des Kumaras et les submergea énergiquement dans un tourbillon de bonheur. Cela secoua leurs corps qui manifestèrent des symptômes d’amour tels que kampa, ashru, romanca et sveda. De même qu’un ennemi s’empare d’abord de la capitale d’un royaume, puis le saccage, l’air captura d’abord le cœur des Kumaras, puis remua leur corps d’extase ».
Alors que leurs cœurs étaient ainsi imprégnés d’amour, ils essayaient d’assimiler la beauté du Seigneur et regardaient ainsi Ses beaux pieds de lotus qui avaient des ongles de rubis. Ils levèrent alors leurs yeux et s’émerveillèrent de la douceur du visage du Seigneur. Pourtant, ils étaient incapables de capturer la beauté complète du corps du Seigneur bien qu’ils eussent essayé avec anxiété de le faire.
Les émotions spirituelles se manifestent
Shrila Jiva Gosvami dit que le terme « nidadhyuh » (SB 3.15.44) indique que les Kumaras ont manifesté un vyabhacari-bhava appelé « cinta » (anxiété), décrit par Shrila Rupa Gosvami (BRS 2.4.136) :
dhyānaṃ cintā bhaved iṣṭānāpty-aniṣṭāpti-nirmitam |
śvāsādhomukha-bhūlekha-vaivarṇyān nidratā iha |
vilāpottāpa-kṛśatā-bāṣpa-dainyādayo’pi ca ||« Les pensées qui surgissent car la personne n’obtient pas l’objet désiré, ou qu’elle en atteint un non désiré, sont appelées “cinta”, ou anxiété. Ses effets sont la respiration profonde, l’abaissement de la tête, le grattage de la terre, le changement de teinte corporelle, la perte de sommeil, les pleurs, la sensation de brûlure, la faiblesse, les larmes et la pitié ».
Après avoir contemplé la belle forme du Seigneur, les Kumaras déclarèrent : « Ô Seigneur ! Nous avons commis une grande offense en maudissant Tes serviteurs. Que nous naissions en enfer pour ce grave vice, mais nous prions pour que nos cœurs et notre esprit soient toujours engagés au service de Tes pieds de lotus. Que nos paroles soient embellies [en parlant de Tes activités] tout comme les feuilles de Tulasi sont embellies lorsqu’elles sont offertes à Tes pieds de lotus. Et que nos oreilles soient toujours remplies du chant de tes qualités transcendantes » (SB3.15.49).
Changement du cœur
Cette prière révèle la manière dont le cœur des Kumaras a changé et annonce une différence significative entre le jnani et le bhakta. En tant que jnanis, les Kumaras s’étaient mis en colère simplement parce qu’ils avaient été empêchés d’entrée, mais ayant atteint la bhakti, ils étaient prêts à tolérer les souffrances de l’enfer à condition de pouvoir entendre et chanter sur le Seigneur. Cette attitude de dévotion unique est louée par le Seigneur Rudra :
nārāyaṇa-parāḥ sarve na kutaścana bibhyati
svargāpavarga-narakeṣv api tulyārtha-darśinaḥ« Les dévots engagés de manière exclusive dans le service de dévotion de la Personne Suprême, Narayana, ne craignent jamais aucune condition de vie. Pour eux, les planètes célestes, la libération et les planètes infernales sont toutes identiques, car de tels dévots ne s’intéressent qu’au service du Seigneur » (SB 6.17.28).
La prière des Kumaras implique ceci : ils préfèrent être des dévots en enfer plutôt que d’avoir une libération impersonnelle au Vaikuntha. Afin de préserver leur dévotion, ils sont prêts à aller en enfer où il y a moins de chance de commettre des offenses envers les dévots, et ils comprennent que le fair de souffrir en enfer rendra plus intense leur souvenir du Seigneur.
La cause profonde de tous les problèmes
Nous pouvons conclure que les Kumaras ont réalisé qu’avoir une attitude défavorable envers le Seigneur est la cause profonde de tous les problèmes. Les dévots ne craignent qu’une chose : voir leur dévotion couverte d’offenses. Les Kumaras préféreraient être des dévots en enfer plutôt que des offenseurs au Vaikuntha. Shrila Vishvanatha Chakravarti Thakura souligne que, bien que souvent percé d’épines, le bourdon ne renonce jamais à l’attachement aux fleurs et, de même, les Kumaras sont déterminés à servir les pieds pareils-au-lotus du Seigneur malgré tous les obstacles. Cela indique qu’ils ont atteint le prema (amour spirituel).
Dans leur prière finale, les Kumaras s’émerveillent de la miséricorde du Seigneur pour avoir montré Sa belle forme même aux offenseurs qui ne peuvent jamais L’approcher. Ainsi, ils n’ont fait qu’offrir leurs hommages. Pour apaiser le Seigneur, ils reconnaissent également avoir reçu la miséricorde de leur père, le Seigneur Brahma, qui est un grand dévot. Puisque les Kumaras étaient des brahmajnanis qui prient maintenant pour le service de dévotion, cela indique que la bhakti, ou l’affectueux service de dévotion, est le pancama-purusartha : le cinquième et premier objectif à acquérir. Et cela surpasse la béatitude de la réalisation impersonnelle.
Le secret le plus confidentiel
Ce paradigme unique ne se trouve que dans la philosophie du Gaudiya Vaisnavisme. Avant l’avènement du Seigneur Shri Chaitanya Mahaprabhu, la majorité des philosophes considéraient la libération (moksa) comme le but ultime de la vie. Néanmoins, le Seigneur Chaitanya Mahaprabhu a dit que le Srimad Bhagavata emmène celui qui l’écoute au-delà de la mukti et révèle le secret le plus confidentiel : l’amour de Krishna (rahasya). Shrila Jiva Gosvami divulgue systématiquement ce secret dans son analyse du Srimad Bhagavata, riche en conclusions philosophiques pertinentes. Cette description de la tentative des Kumaras d’entrer dans le Vaikuntha est tout particulièrement exposée par Shrila Vyasadeva pour tourner complètement en dérision l’impersonnalisme. Il est très significatif que le Seigneur Brahma ait envoyé ses propres fils, les meilleurs des impersonnalistes, au Vaikuntha et se soit arrangé pour qu’ils expérimentent la supériorité du bhaktyananda par rapport au brahmananda.
Gardant cela à l’esprit, Shrila Jiva Gosvami relate l’expérience des Kumaras et, avec sa brillante analyse, démolit complètement l’éblouissant édifice du mayavada (impersonnalisme) jusqu’à sa fondation même. En revanche, cette section est comme un clair de lune apaisant pour les cœurs semblables à la fleur kumudini des Vaishnavas.
Material happiness comes by getting rid of a desire which is done in three ways – by giving it up (sattvika), by fulfilling it (rajasika), and by forgetting it by taking intoxicants (tamasika).
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