Le Soi et le libre arbitre dans la sampradaya de Shri Caitanya Mahaprabhu (5ème partie)

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Comme la nature de l’atman est jnana, il est auto-lumineux. Le « je » intrinsèque de l’atman est appelé ahamartha et n’est pas la même chose que le « je » conditionnel appelé ahankara, qui est projeté à travers l’esprit pour former un nœud entre l’atman et un corps matériel. L’ahankara est tangible comme l’illusion selon laquelle un corps matériel serait le vrai soi.

La nature auto-lumineuse de l’atman

Comme la nature de l’atman est jnana, il est auto-lumineux. Le « je » intrinsèque de l’atman est appelé ahamartha et n’est pas la même chose que le « je » conditionnel appelé ahankara, qui est projeté à travers l’esprit pour former un nœud entre l’atman et un corps matériel. L’ahankara est tangible comme l’illusion selon laquelle un corps matériel serait le vrai soi. 

L’atman auto-lumineux peut aussi être indirectement connu par un autre atman individuel. Il peut être défini comme « je » lorsqu’il se révèle à lui-même. Et il est défini comme « vous » ou « il », « elle » ou bien « cela » lorsqu’il est révélé par un autre atman. Le fait que l’atman est un sujet et qu’il peut également être un objet pour d’autres sujets n’en fait pas un objet matériel terne. Il reste un sujet auto-lumineux, même lorsqu’il est aussi un objet éclairé par un autre atman. L’école Vaisheshika dit : « Si l’atman est éternellement auto-lumineux, il devrait toujours être conscient de lui-même, mais dans le sommeil profond, nous devenons inconscients de tout, y compris de nous-mêmes ». À cela nous répondons que même dans un sommeil profond, l’atman conserve le sens du « je ». Lorsqu’il est éveillé ou en train de rêver, l’atman révèle un « je » comme témoin d’objets extérieurs commençant par son propre corps physique et son esprit. Dans le sommeil profond, le « je » lié au corps et aux objets extérieurs cesse de fonctionner, mais le « je » reste une entité consciente de soi. Cela est décrit par le Seigneur Kapila :

« L’atman reste éveillé et sans ego lorsque, par le sommeil, ses objets sensoriels, ses sens, son esprit et son intelligence sont fusionnés dans la prakriti. Bien qu’indestructible, avec la perte de l’ego, il se croit, à tort, perdu et devient affligé comme une personne qui a perdu ses richesses. Cependant, avec une délibération appropriée, il en vient à connaître l’existence de l’atman, qui est l’abri de l’ego et du corps matériel, et est l’objet de la grâce [du Seigneur] ». (SB 3.27.14-16)

Ahamartha en sommeil profond

Une autre objection est soulevée : « Dans le sommeil profond, il n’y a pas d’expérience. La Chandogya Upanishad (8.11.1) déclare : “Dans un sommeil profond, on ne se connaît pas comme ‘ceci est moi’”. Par conséquent, l’atman ne retient pas la perception de soi et ne doit pas être individuellement conscient par nature, et il n’y a pas de conscience du “je” qui lui est inhérente ».

Il est vrai que la perception de soi dans le sommeil profond est tout à fait différente de celle de l’éveil ou du rêve, mais il n’est pas vrai que la perception de soi cesse complètement dans le sommeil profond. Dans le sommeil profond, il n’y a aucune expérience d’objets physiques ou de constructions mentales. L’atman reste comme un sens ininterrompu du « je », distinct de toute identification matérielle telle que mâle ou femelle, jeune ou vieux, Indien ou Français. Le sens du « je » ne peut pas être projeté vers quelque chose d’extrinsèque et il n’est conscient d’aucun objet en dehors de sa propre existence : il ne garde que la conscience de sa propre existence, ahamartha. Ce n’est que le sujet sans aucun objet d’expérience. Ainsi son expérience est-elle inexprimable.

Cela se déduit de l’expérience que nous faisons au réveil: « J’ai très bien dormi. Je ne me suis aperçu de rien. Je ne savais même plus qui j’étais ». Un tel souvenir ne serait pas possible s’il n’y avait aucune perception de soi dans le sommeil profond. La déclaration « j’ai très bien dormi » implique qu’il y a le témoin, le « je », du bon sommeil.

De plus, cette perception de soi ne peut pas être le produit d’un corps ou d’un esprit, car le corps et l’esprit sont inactifs en sommeil profond. Par conséquent, l’atman doit posséder intrinsèquement la qualité de la perception de soi. L’affirmation « je ne savais même plus qui j’étais » indique l’ignorance de l’identité matérielle du soi par rapport à un corps physique. Cela ne nie pas totalement l’existence du « je ». Dans cette déclaration, « je » se réfère au sens de soi inhérent à l’atman, et « moi-même » se réfère à l’identité matérielle, le soi empirique. Par conséquent, nous concluons qu’il y a présence continue du « je » même dans l’état de sommeil profond.

La prise de conscience active du « je » ne se produit que lorsqu’elle est liée à l’ahankara, l’ego matériel, et est ainsi liée à un appareil mental et physique. Dans le sommeil profond, cette relation est rompue et, de ce fait, l’on n’a pas de perception active de la présence du « je ». Mais cela ne signifie pas que le « je » cesse d’exister. Il reste dans un état non révélé et devient révélé rétroactivement lorsqu’il est de nouveau lié par l’ahankara à un appareil mental et physique. L’appareil mental, ou « l’esprit » (buddhi), est l’outil par lequel la prise de conscience (et même la perception de soi) agit. Même la félicité du samadhi et la connaissance de l’atman sont éprouvées par l’esprit. Mais la prise de conscience et la perception de soi existent au-delà de celles-ci, dans l’état de moksha (libération). Cela prouve que la conscience (jnatritva) est la nature éternelle de l’atman. Par conséquent, des déclarations dans les écritures, comme la Prashna Upanishad (4.9), décrivent explicitement l’atman comme « le connaisseur » (boddha). Le Vedanta Sutra (3.3.19) affirme également que l’atman est le connaissant : « jño’ ta eva ».

La connaissance attributive n’est pas inhérente à l’atman

Ce qui précède démontre également que la connaissance issue des sens internes et externes n’est pas inhérente à l’atman comme le prétendent les adeptes de l’école Vaisheshika. La sensibilité de l’atman, par sa proximité, insuffle la sensibilité dans l’appareil mental (citta, appelé également ahankara), qui se relie aux objets des sens par le biais des organes des sens (voir SB 6.16.24). Cette connaissance n’est pas intrinsèque à l’atman, c’est le vritti-jnana, connaissance accumulée, acquise au moyen d’un appareil extérieur.

Les connaissances accumulées subissent une contraction et une expansion. Bien que l’atman soit plus petit que la taille d’un atome, il peut étendre sa conscience dans tout le corps grâce à la qualité expansive de la connaissance (jnatritva). À l’état libéré ou inconditionné, cette qualité est illimitée, l’atman est de ce fait parfois appelé vibhu ou ananta, illimité. La connaissance accumulée est différente de la connaissance inhérente de l’atman : la première fournit la connaissance au soi tandis que la seconde est elle-même une entité sensible, se révélant au soi.

La connaissance accumulée est semblable à la luminosité d’une flamme. Étant une substance à part entière, il est plus correct de la considérer comme un attribut d’une flamme. De même, la connaissance est une substance à part entière, mais il vaut mieux la considérer comme un attribut de l’atman. Ainsi, l’atman est véritablement connu comme étant auto-illuminant (svasmai svayam-prakasha ou svasmai bhasa-mana). La connaissance acquise par la perception sensorielle est lumineuse et même auto-lumineuse, mais non consciente d’elle-même. Elle fournit une perception au soi conscient. Elle n’est pas « cetana » (consciente comme l’est l’atman) car elle n’a pas le pouvoir de se connaître. Pourtant, elle n’est pas « jada » (inerte, comme un morceau de pierre) car elle a le pouvoir de révéler des objets. C’est le « mano-vritti », une formation mentale en relation avec un objet de perception.

Dans la Bhagavad Gita (13.6), Shri Krishna s’y réfère en tant que cetana, mais la compte comme faisant partie du corps matériel. Ainsi, cet usage particulier du mot cetana ne doit pas être confondu avec le cetana de l’atman. Dans ce verset de la Bhagavad Gita, cela se réfère à la sensibilité de l’atman infusée dans l’esprit du corps matériel, produisant une connaissance qui reflète la qualité sensible de l’atman :

icchā dveṣaḥ sukhaṁ duḥkhaṁ saṅghātaś cetanā dhṛtiḥ 
etat kṣetraṁ samāsena sa-vikāram udāhṛtam

« Le désir, l’aversion, le bonheur, la détresse, l’agrégat [des éléments, appelés le corps], la perception et le courage : ceux-là sont décrits brièvement comme le champ d’action (kshetra) avec ses modifications ».

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