L’amour au-delà de l’amour (Prīti Sandarbha, anuccheda 61) – Partie 2

Dans les soixante premiers anucchedas, Śrī Jīva Gosvāmī a établi que la prīti constitue le puruṣārtha ultime (l’objet de la poursuite humaine). Comme il a été dit précédemment, la mokṣa ou la mukti est traditionnellement considérée en Inde comme le puruṣārtha le plus élevé.

Commentaire  

Dans les soixante premiers anucchedas, Śrī Jīva Gosvāmī a établi que la prīti constitue le puruṣārtha ultime (l’objet de la poursuite humaine). Comme il a été dit précédemment, la mokṣa ou la mukti est traditionnellement considérée en Inde comme le puruṣārtha le plus élevé. Śrī Jīva Gosvāmī énonce un principe nouveau, fondé principalement sur le Śrīmad Bhāgavata, qu’il a établi comme la plus haute autorité pour la compréhension de la Réalité absolue, le tattva.

Au début du Prīti Sandarbha, Śrī Jīva Gosvāmī déclare que le véritable but de la vie (puruṣārtha) est d’atteindre le bonheur dépourvu de toute trace de souffrance. Tous les philosophes, théologiens et même les gens ordinaires peuvent aisément en convenir. Śrī Jīva Gosvāmī assimile cet état à la mukti, qui signifie littéralement « libération », et plus précisément « affranchissement de la souffrance ». En ce sens, la mukti représente une négation et se trouve automatiquement incluse dans l’objectif d’atteindre un bonheur sans souffrance.

Selon l’analyse de Śrī Jīva Gosvāmī, la cause première de la souffrance réside dans l’ignorance de l’Absolu, le tattva. Par conséquent, la réalisation (sākṣātkāra) de l’Absolu est essentielle pour atteindre le but ultime. Cette réalisation n’est pas différente de la mukti. La réalisation de l’Absolu (tattva-sākṣātkāra) est de deux sortes : celle du Brahman et celle de Bhagavān. Parmi les deux, le bhagavat-sākṣātkāra est de loin supérieur. Ainsi, le véritable but de la vie est la réalisation de l’Absolu en tant que Bhagavān (bhagavat-sākṣātkāra).

Cette réalisation est également de deux sortes : interne et externe. Parmi elles, la seconde est supérieure. Śrī Jīva Gosvāmī explique que la réalisation de Bhagavān sans amour (prīti) équivaut à n’avoir aucune réalisation du tout. Ainsi, le but ultime de la vie est l’amour pour Bhagavān.

Incidemment, Śrī Jīva Gosvāmī expose la libération progressive, opposée à la libération immédiate (krama- et sadyo-mukti, respectivement), ainsi que la libération pendant la vie, opposée à la libération après la mort (jīvan- et utkrānta-mukti, respectivement). Il énumère également cinq types de mukti :

  1. l’identification avec l’Absolu (sāyujya)
  2. la participation au royaume de Bhagavān (sālokya)
  3. la participation aux opulences de Bhagavān (sārṣṭi)
  4. la participation à la beauté de Bhagavān (sārūpya)
  5. la participation à l’intimité de Bhagavān (sāmīpya)

L’identification avec l’Absolu comporte deux divisions : celle avec la Conscience absolue (brahma-sāyujya) et celle avec Bhagavān (bhagavat-sāyujya). Ni l’une ni l’autre n’est recommandée par Śrī Jīva Gosvāmī, car aucune ne laisse de place à la prīti. Parmi les quatre autres, le sāmīpya est le meilleur. Cependant, un dévot n’aspire à aucun type de mukti et ne désire que la prīti, dont l’essence consiste à offrir un service favorable à Bhagavān. Un dévot peut accepter les quatre types de mukti s’ils contribuent à servir Bhagavān.

Un dévot ne prie jamais pour autre chose que la prīti. Parfois, les dévots qui possèdent la prīti peuvent prier pour une certaine opulence grâce à laquelle ils pourront servir Bhagavān. Bhagavān exauce facilement leur désir, mais, s’Il ne le fait pas, le dévot considère également que c’est une manifestation de la grâce de Bhagavān. La logique est la suivante : Bhagavān ne souhaite pas entraîner Son dévot dans les distractions que pourrait procurer l’opulence. En effet, Il préfère qu’un dévot soit progressivement dépourvu de toute opulence matérielle, ce qui engendre une plus grande humilité et un plus grand abandon, et accroît la soif du dévot pour la pure prīti. En fin de compte, tous les dévots atteignent la protection de Bhagavān et vivent avec Lui sous les formes spirituelles qui leur sont conférées à la fin de leur vie matérielle.

Pour établir un sujet, il est nécessaire de le définir et d’en exposer le processus d’expérimentation. Ainsi, après avoir établi la prīti comme le but le plus désirable de la vie humaine, Śrī Jīva Gosvāmī en présente ensuite la définition. Il le fait en recourant à l’analogie (atideśa).

Ainsi, le présent anuccheda est le plus important de tout l’ouvrage, et un étudiant sincère doit l’étudier avec la plus grande attention. Si la définition de la prīti est clairement comprise, cela contribuera grandement à la compréhension du reste du texte.

La prīti, ou « amour », est un concept particulièrement difficile à saisir, et ce pour plusieurs raisons. La première est que le mot « amour » est employé très couramment dans le langage quotidien. Lorsqu’un mot est utilisé de manière excessive, il tend à perdre son sens originel. Presque tout le monde emploie le mot « amour » chaque jour, sans prêter attention à sa véritable signification.

Il existe différentes manières d’apprendre le sens d’un mot :

  1. Par la grammaire. Nous pouvons apprendre le sens du mot « allait » en comprenant qu’il s’agit de l’imparfait du verbe « aller ».
  2. Par analogie. Nous pouvons comprendre la signification du mot « citron vert » en apprenant qu’il est semblable à un « citron jaune ».
  3. Par un dictionnaire. Nous pouvons connaître le sens du mot « planète » en lisant sa définition dans un dictionnaire : « un objet qui orbite autour du Soleil ».
  4. Par l’instruction. Nous pouvons apprendre la signification de mots tels que « nez », « yeux », etc., en montrant ce qu’ils désignent.
  5. Par l’expérience. Nous pouvons apprendre le sens d’un mot en observant à quoi les gens se réfèrent lorsqu’ils l’emploient. Par exemple, lorsque vous rendez visite à un ami, vous l’entendez dire à son épouse : « Apporte les rasagullas. » Lorsqu’elle apporte une assiette de sucreries blanches et rondes, vous comprenez le sens du mot rasagulla.

Curieusement, nous utilisons de nombreux mots dans notre vie quotidienne sans en comprendre clairement le sens. L’amour est certainement l’un de ces mots.

Un autre problème est que nous pensons déjà savoir ce qu’est l’amour. Cela nous empêche de faire un effort pour comprendre ou de prêter attention à une explication de celui-ci. Tout le monde pense avoir une certaine expérience de l’amour. Toutefois, le type d’amour que Śrī Jīva Gosvāmī décrit ici est complètement différent de « l’amour » que nous pouvons ressentir. Nous pouvons mal le comprendre en supposant qu’il s’agisse de la même chose que notre expérience ordinaire de l’amour.

Śrī Jīva Gosvāmī tente de donner une définition explicite et claire de la prīti.

Pour commencer, il compare la prīti à un « amour » ordinaire. Les comparaisons, également appelées analogies, sont très utiles pour comprendre quelque chose que nous ne connaissons pas, en se référant par leurs similitudes et différences à des choses que nous connaissons. Cependant, les analogies peuvent également être trop étendues, car la chose que nous ne connaissons pas n’est pas tout à fait similaire aux choses auxquelles elle est comparée ou avec lesquelles elle est analogue. Les choses immatérielles, par exemple, ne sont pas identiques aux choses matérielles qui leur sont analogues. Plus particulièrement, dans le cas de l’amour ordinaire, il n’est pas tout à fait le même que la prīti pour Bhagavān. Néanmoins, les analogies sont utiles, car notre esprit matériel ne pourrait pas commencer à saisir les choses immatérielles sans elles.

Śrī Jīva Gosvāmī dit que bien que la définition de l’amour matériel soit la même que celle de l’amour immatériel, les deux ne sont pas entièrement identiques. L’amour matériel est un produit des guṇas matériels, tandis que la prīti pour Bhagavān est une partie de sa puissance intrinsèque. À bien des égards, ils ont des caractéristiques opposées bien qu’ils soient désignés par le même mot « amour ». Cette distinction doit toujours être gardée à l’esprit, sinon nous développerons de fausses idées sur les deux.

Selon le dictionnaire Amarakoṣa (1.4.24), les synonymes du mot prīti sont mut, pramada, pramoda, āmoda, sammada, ānanda, ānandathu, śarma, śāta et sukha. Tous ces mots signifient essentiellement le bonheur. Le bonheur est une forme de sentiment que l’on ressent quand quelque chose de favorable arrive à nous ou à notre objet d’attachement. Lorsque nous expérimentons le bonheur, notre cœur « s’élargit » (ullasa). Śrī Jīva Gosvāmī distingue le bonheur (sukha) de l’amour lui-même. Il dit que l’amour (priyatā) fait aussi « s’élargir » le cœur, comme dans le bonheur. Toutefois, il provient non pas d’un événement favorable, mais plutôt du fait de donner du plaisir à l’être aimé, ou de le souhaiter seulement et ainsi se rapprocher de l’être aimé. Cela est très différent du bonheur, car n’étant pas le résultat d’un événement, mais celui d’une humeur ou d’un tempérament qui existe en permanence dans le cœur de l’amant.

En conséquence, l’amour inclut le sentiment de bonheur, mais le bonheur n’inclut pas toutes les composantes de l’amour. L’amour inclut l’être aimé.

Pour donner un exemple, quelqu’un peut dire : « J’aime le chocolat ». Ce que la personne veut vraiment dire, c’est que manger du chocolat lui apporte du bonheur. Elle n’a aucune envie de faire plaisir au chocolat, elle veut le manger et en profiter. Le chocolat est censé lui donner du bonheur, et non l’inverse. Ici, la personne agit pour son propre bonheur.

En revanche, quelqu’un peut dire : « J’aime ma fille ». En cela, nous trouvons un flux constant d’affection du cœur de la personne vers sa fille bien-aimée, sous la forme d’un souci intense de voir qu’elle soit en sécurité, heureuse, etc. Cette personne désire faire quelque chose qui ravit ou profite à l’enfant et, lorsqu’elle peut rendre l’être aimé heureux, elle expérimente automatiquement l’expansion du cœur, qui est une caractéristique du bonheur. Dans la quête du bonheur, on cherche l’objet désiré pour le consommer. Cependant, dans l’expression de l’amour, on cherche l’être aimé pour son plaisir à lui. En amour, on ne cherche pas son propre bonheur à lui seul, alors qu’en « amour » (qui n’a de l’amour que le nom, mais c’est en fait la quête du bonheur) on n’agit que pour son propre bonheur. Bien que l’amour ne permette aucun désir de bonheur, il confère un bonheur immense, bien plus grand que la poursuite indépendante du bonheur.

En amour, il n’y a aucune possibilité pour celui qui aime d’agir ou même de penser défavorablement envers l’être aimé.

En résumé, le bonheur et l’amour sont deux choses différentes, mais l’amour inclut le bonheur.

Notify me of new articles

Post comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *

  • Satyanarayana Dasa

    Satyanarayana Dasa
  • Daily Bhakti Byte

    When there is no love then rules such as non-violence and truthfulness become necessary.

    — Babaji Satyanarayana Dasa
  • Videos with Bababji

  • Payment

  • Subscribe

  • Article Archive

  • Chronological Archive

© 2017 JIVA.ORG. All rights reserved.