La psychologie védique. Partie 1 : les troubles délirants

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Pratiquant la vie spirituelle depuis des décennies, j’en suis venu à la stupéfiante réalisation que dans les sociétés spirituelles, il y a un nombre disproportionné de pratiquants qui ont des problèmes de santé mentale.

Babaji Satyanarayana Dasa

Pratiquant la vie spirituelle depuis des décennies, j’en suis venu à la stupéfiante réalisation que dans les sociétés spirituelles, il y a un nombre disproportionné de pratiquants qui ont des problèmes de santé mentale. Étonnamment et malheureusement, ces problèmes passent inaperçus et restent de ce fait non traités. L’une des raisons en est le manque de connaissances dans les cercles spirituels sur les problèmes de santé mentale, et la seconde est que ces problèmes de santé mentale sont souvent confondus avec un accomplissement spirituel. L’un des problèmes de santé mentale courants, dont j’ai personnellement été témoin dans mon propre institut et ashrama, ainsi que dans l’ashrama de mon guru, est le trouble délirant. La chose délicate à propos du trouble délirant est que les personnes qui en souffrent peuvent être hautement opérationnelles dans tous les domaines de la vie, sauf dans le domaine dans lequel elles ont le délire, de sorte que cela peut passer inaperçu pendant des années. Comme le tamas a une certaine similitude avec le sattva, une personne tamasique très dysfonctionnelle peut être confondue avec un transcendantaliste suprême, appelé avadhuta. J’ai vu à Vrindavana des exemples de confusion entre une personne hautement délirante et un grand spiritualiste réalisé. Par conséquent, j’ai pensé qu’il serait utile pour la communauté spirituelle d’avoir des connaissances sur ce fait afin de reconnaître et résoudre ce problème. L’article suivant a été écrit en collaboration avec Jessica Richmond (Joshika Devi Dasi), une conseillère en santé mentale agréée venant des États-Unis, qui a de nombreuses années d’expérience dans divers hôpitaux de santé mentale traitant des patients atteints de divers troubles mentaux, y compris l’illusion. Elle passe maintenant la moitié de l’année à Vrindavan dans mon ashrama à travailler avec la communauté locale des dévots et les dévots du monde entier. Elle enseigne également aux psychothérapeutes comment appliquer la psychologie védique pour trouver la cause profonde des déséquilibres de la santé mentale.

Un exemple clinique de trouble délirant

Pour donner une idée de l’esprit d’une personne qui a un trouble délirant, voici une conversation tirée de sa pratique.

« Je sais que ma fille va rentrer à la maison pour son 30ème anniversaire. Elle ne sera pas si cruelle de me laisser comme ça et de ne pas revenir », dit Rhonda, ses yeux bleu pâle vitreux me regardant au loin, comme si elle regardait sa douce fille.

« Où est votre fille maintenant Rhonda ? » dis-je en essayant de lui faire admettre la réalité, à savoir que sa fille bien-aimée de 29 ans, Heidi, est décédée tragiquement il y a 6 mois après des années de vaillante bataille contre le cancer de l’ovaire.

« Elle est au paradis », Rhonda m’a regardé et a souri avec confiance, puis a ajouté, « mais Heidi est une bonne fille et elle sera de retour pour son anniversaire en mai, ce n’est que dans 42 jours, et elle sera là. Je le sais tout simplement ».

J’ai essayé un autre angle pour la sortir de là… « Alors, où est le corps d’Heidi en ce moment Rhonda ? »

Elle a souri agréablement : « Le corps d’Heidi est sur ma cheminée à la maison dans une urne ».

« Alors, vous dites que le corps d’Heidi est en cendres, est-ce exact ? »

« Oui », a acquiescé Rhonda, hochant la tête avec assurance, toujours souriante.

Bon, je me suis dit, au moins elle convient que le corps de sa fille est en cendres ; maintenant j’ai un fondement solide comme point de départ pour percer un trou dans son illusion. « Alors, Rhonda, permettez-moi de vous poser une question, me le permettrez-vous ? »

« Bien sûr, n’importe quoi », répondit-elle calmement.

« D’accord, alors si Heidi est au paradis et que son corps est en cendres sur votre cheminée, comment redescendra-t-elle du paradis et retournera-t-elle dans ce corps qui a été réduit en cendres ? Je ne comprends pas. Veuillez m’expliquer comment cela se passera ».

Rhonda a maintenu ce même regard superficiel sur son visage, ce sourire en plastique qui couvrait son immense douleur, et a dit paisiblement : « Mon bébé sera là, je lui organise une grande fête pour ses 30 ans. Elle s’habillera tout en rose à sa fête, sa couleur préférée. C’est une personne si gentille, avec un si grand cœur. Elle ne me laissera jamais tomber, moi, sa meilleure amie. Elle est très fiable. Elle viendra, attendez le 21 mai. Vous verrez ce que j’essaye de vous expliquer».

« Rhonda, je ne peux toujours pas imaginer comment Heidi pourrait venir à sa fête d’anniversaire. Cela n’a aucun sens, on dirait que vous avez pensé à ce qui se passerait si Heidi venait, mais que se passera-t-il si Heidi ne vient pas ? Avez-vous au moins envisagé cette option ? Êtes-vous prête à faire face à la déception que vous ressentirez si Heidi ne se présente pas à cette fête d’anniversaire que vous organisez pour elle ? »

Rhonda a souri du même sourire que lorsqu’elle a franchi la porte et a répété son mantra, sans se décourager : « Heidi viendra, bien sûr, elle viendra à sa propre fête d’anniversaire ».

C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que peu importe ce que je disais, peu importe le raisonnement que j’utilisais, Rhonda était complètement figée dans son délire. Ses pensées ne bougeaient pas. Ses pensées la protégeaient de l’immense douleur de la perte de sa fille, une douleur si écrasante que son esprit en a créé une autre réalité.

Cela peut sembler trop loin de l’expérience de nombreux lecteurs (la plupart des dévots ne passent pas beaucoup de temps à travailler avec des clients dans des hôpitaux psychiatriques), mais le délire est un trouble présent chez de nombreux dévots. Malheureusement, c’est un trouble que l’on ne parvient pas trop souvent à diagnostiquer. Dans le cas de Rhonda, il s’est avéré assez clair comment il fallait l’aider. J’ai téléphoné à l’une de ses amies et lui ai expliqué le problème de Rhonda. L’amie l’a ensuite amenée chez un psychiatre qui lui a donné le bon médicament. Quand Rhonda est revenue me voir la fois suivante, l’anniversaire de sa fille était passé, elle était correctement soignée et elle était sortie de son délire. Nous avons passé quelques mois à traiter sa douleur profondément tranchante et désespérée suite à la perte de sa fille chérie Heidi, et ses pensées se sont finalement normalisées.

Dévots atteints du trouble délirant

Malheureusement, travailler avec des dévots atteints de troubles délirants n’est pas si facile. En réalité, travailler avec des dévots activement suicidaires et meurtriers s’est avéré plus facile que de travailler avec des dévots qui souffrent de troubles délirants. Le trouble délirant est difficile à briser. Il est comme un mur de croyances blindé qu’aucun psychothérapeute, ni même les ordres directs du guru, ne peuvent pénétrer. Vous pouvez rire ou grimacer d’incrédulité, mais nous ne rapportons que ce que nous voyons. Jusqu’à présent, vous avez peut-être perçu que le manque de progrès de quelqu’un était dû à un gros égo, ou à des offenses commises dans le passé, ou à des traits de personnalité têtus ou narcissiques. Mais peut-être qu’il y a quelque chose de plus dans son histoire. L’esprit d’une personne peut être dans un état de trouble délirant sans que la personne le sache.

Le délire est défini par l’Association américaine de psychiatrie dans son Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques (DSM-5) comme « des croyances établies qui ne sont pas susceptibles de changer à la lumière de preuves contradictoires » (L’APA, p. 87). Les croyances sont irrationnelles. Selon la Bhagavad Gita, la cause première du trouble délirant est l’influence du rajas et du tamas sur la buddhi. Dans le 18ème chapitre, Krishna décrit trois divisions de buddhi :

pravṛttiṁ ca nivṛttiṁ ca kāryākārye bhayābhaye
bandhaṁ mokṣaṁ ca yā vetti buddhiḥ sā pārtha sāttvikī

« Ô Arjuna, l’intelligence qui distingue entre les voies de l’action et du renoncement, entre ce qu’il faut faire et ce qui doit être évité, entre ce qui entraîne la peur et ce qui provoque l’intrépidité, et entre l’esclavage et la libération, est sattvika ». (BG 18.30)

yayā dharmam adharmaṁ ca kāryaṁ cākāryam eva ca
ayathāvat prajānāti buddhiḥ sā pārtha rājasī

« Ô Arjuna, l’intelligence par laquelle on comprend de manière inexacte ce qu’est la justice (dharma) et l’injustice (adharma), et ce qui doit être fait et ce qui est interdit, est rajasika ». (BG 18.31)

[Ce que cela signifie, c’est que la buddhi est incapable de faire la distinction entre le bien et le mal, et présente plutôt la vérité d’une manière déformée].

adharmaṁ dharmam iti yā manyate tamasāvṛtā
sarvārthān viparītāṁś ca buddhiḥ sā pārtha tāmasī

« L’intelligence qui, étant couverte par l’ignorance, conçoit l’injustice comme la justice et toutes choses comme contraires à leur nature réelle, est tamasika, ô Arjuna ». (BG 18.32)

[En d’autres termes, une telle intelligence présente la réalité juste à l’opposé de ce qu’elle est].

La personne qui se trouve dans l’illusion ne voit pas les choses telles qu’elles sont car son intelligence est influencée par le rajas ou le tamas, ou les deux à la fois, et c’est par l’intelligence qu’une personne comprend les choses qui l’entourent. Selon l’intensité de l’influence du rajas et du tamas, une personne a son intensité correspondante du trouble délirant. Selon l’intensité de l’influence du rajas et du tamas, le trouble délirant peut être classé en trois catégories.

  • Impénétrable et complètement inconscient

Les personnes appartenant à cette catégorie ignorent leur trouble délirant, qui est si intense qu’il est impossible de leur faire comprendre leur problème. Elles peuvent être très opérationnelles dans leur vie. Elles peuvent être charismatiques et très convaincantes. Pour cette raison, elles peuvent avoir des adeptes car elles ont le pouvoir de convaincre les autres. Si elles sont très convaincues de leur délire, elles sont aussi très dévouées à leurs idées. Leur trouble délirant est le résultat du tamas prédominant accompagné du rajas.

  • Impénétrable mais conscient

L’intensité de ce trouble délirant est moindre que dans la catégorie précédente. Par conséquent, il est possible aux personnes atteintes de ce trouble de prendre conscience de leur illusion, mais il leur est difficile d’en sortir même après avoir pris connaissance de l’existence de leurs troubles délirants. Les personnes appartenant à cette catégorie rationalisent leurs troubles de santé mentale en s’appuyant sur les écritures. Ainsi sauront-elles convaincre les autres. Leur trouble délirant est le résultat du rajas prédominant accompagné du tamas.

  • Pénétrable et conscient

Les personnes appartenant à cette catégorie sont prêtes à accepter de l’aide pour sortir de leur trouble délirant. L’intensité du trouble délirant ici est moindre, les personnes sont conscientes de leur délire et il leur est possible d’accepter qu’elles ont un trouble de santé mentale. Leur trouble délirant est le résultat du rajas prédominant accompagné du sattva.

Si l’intelligence d’une personne est polluée, alors il est presque impossible de surmonter le trouble et de faire comprendre à la personne ce qu’est réellement la réalité. Nous percevons les choses avec nos sens qui envoient des informations à l’esprit, mais c’est la buddhi qui nous fait comprendre ce qui est perçu. C’est à ce niveau de compréhension que le trouble délirant se produit. Chaque être humain est sujet au trouble délirant car la buddhi d’une personne ordinaire est toujours sous l’influence des gunas, qui ne cessent de changer. Mais une personne qui a un trouble délirant est différente car elle a une conception erronée, chronique, constante et impénétrable.

Il existe de nombreux types de délires que l’on peut avoir, et ils doivent persister pendant au moins un mois pour qu’ils soient qualifiés de troubles délirants. Ci-dessous sont détaillés les six troubles délirants que nous avons vus directement chez les dévots, ou dont nous avons entendu parler dans le contexte de la vie dans un ashrama. Une caractéristique commune des personnes atteintes de trouble délirant est la normalité apparente de leur comportement et de leur apparence lorsque leurs idées délirantes ne sont pas abordées ou mises en œuvre (L’APA, p. 93).

  1. Type de persécution :  ce sous-type s’applique quand le thème central des idées délirantes consiste en la croyance d’être la cible d’un complot, d’une escroquerie, d’espionnage, d’une filature, d’un empoisonnement, de harcèlement, de calomnies ou d’une obstruction à la poursuite de ses projets à long terme. Le sujet peut s’engager dans des tentatives répétées d’obtenir satisfaction par une action en justice. Les personnes atteintes de délire de persécution sont souvent rancunières et peuvent recourir à la violence contre ceux qui, selon elles, leur font du mal. 
  2. Type référentiel : ce sous-type s’applique lorsque le thème central des idées délirantes consiste en la croyance selon laquelle certains gestes, commentaires, indices environnementaux, etc., seraient dirigés contre un individu alors qu’ils ne le sont pas. Se référant à ces indices, le sujet agit avec confiance en pensant qu’il a reçu un message divin.
  3. Type mégalomaniaque : le sujet croit qu’il a un talent ou une perspicacité exceptionnels, ou a fait une découverte importante, ou a une relation spéciale avec une personne éminente, ou qu’il est lui-même une personne éminente. Les délires mégalomaniaques peuvent avoir un contenu religieux et le sujet peut se croire habilité en tant que sauveur de l’humanité.
  4. Type érotomaniaque : ce sous-type s’applique lorsque le thème central des idées délirantes est qu’une personne, généralement de statut supérieur, est amoureuse du sujet. De tels individus sont obsédés par la personne qui est, selon eux, amoureuse d’elle et ils peuvent la harceler.
  5. Type somatique : ce sous-type s’applique lorsque le thème central des idées délirantes concerne des fonctions ou des sensations corporelles. Le sujet pense que son corps émet une odeur nauséabonde, qu’il y a une infestation d’insectes sur ou dans sa peau, qu’il y un parasite interne, que certaines parties de son corps sont déformées ou laides ou que certaines parties du corps ne fonctionnent pas. Même une visite chez le médecin ne dissipera pas cette croyance.
  6. Type de jalousie : ce sous-type s’applique lorsqu’une personne croit que son conjoint ou son amant est infidèle et s’accroche à son délire avec un zèle juste et inébranlable. La croyance se produit sans motif valable et elle est fondée sur des inférences incorrectes étayées par de petits éléments de preuve. En général, le sujet affronte l’amant et tente d’intervenir dans l’infidélité imaginaire.

(L’Association américaine de psychiatrie, DSM-5, p. 90)

Il est possible qu’une personne ait plus d’un de ces types de délires. Il est généralement entendu dans la communauté des dévots qu’en accomplissant sa sadhana, le pratiquant sera guéri de ses troubles. Certes, il y a une part de vérité à cela et nous pouvons trouver des citations scripturaires à l’appui puisque la bhakti est la panacée de tous les problèmes. Cependant, tout comme lorsque nous avons une maladie physique, il nous est conseillé de faire appel à un médecin qualifié, lorsque quelqu’un a un trouble mental, il faut avoir recours à une aide psychiatrique. En effet, la prise en charge psychiatrique est plus nécessaire en cas de troubles mentaux car ils sont très subtils par rapport aux problèmes physiques.

Dans les articles suivants, nous analyserons et donnerons des exemples des six types de troubles délirants qui sont observés dans la communauté des dévots.

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    If it was possible to make a change by being in anxiety, then you should take out more time for worrying. Schedule it as part of your day, just like taking time each day for eating. But, it doesn’t work like that. Most of the time people worry for no good reason. Worrying does not accomplish anything other than distract you from the present moment, where peace patiently awaits you.

    — Babaji Satyanarayana Dasa
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