La pédagogie du Bhagavata Purana – Partie 2

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Pourquoi raconter des histoires ?

L’intention de Shri Vyasa n’est pas de nous donner des informations historiques, mais de transmettre une connaissance transcendante. Néanmoins, des faits historiques peuvent y être exposés pour transmettre le sens implicite. Shri Shukadeva Gosvami l’explique clairement dans le verset suivant :

kathā imās te kathitā mahīyasāṁ vitāya lokeṣu yaśaḥ pareyuṣām
vijñāna-vairāgya-vivakṣayā vibho vaco-vibhūtīr na tu pāramārthyam

« O roi, je t’ai raconté ces histoires de souverains glorieux, qui ont atteint une grande renommée dans ce monde et ont ensuite trouvé la mort, afin de te transmettre la connaissance de l’insubstantialité de la jouissance des sens, et d’évoquer par là même en toi un esprit de détachement de celle-là. Ces histoires ne sont qu’une démonstration d’éloquence et n’ont aucun rapport avec la Vérité Absolue ». (SB 12.3.14)

La dernière phrase du verset dit que « les histoires ne sont qu’une démonstration d’éloquence », vaco-vibhuti, ce qui implique que tout ne doit pas être pris à la lettre. Parfois les faits sont exagérés pour que la description paraisse très attrayante, extraordinaire et merveilleuse.

Le roi Citraketu et ses épouses

Un couple de Vidyadharas

À titre d’exemple, le quatorzième chapitre du sixième chant de Shrimad Bhagavatam décrit l’histoire de Citraketu, un grand roi qui n’avait pas de fils. Dans le système de varnashrama, il était obligatoire pour une personne mariée d’avoir un fils afin qu’il puisse continuer la lignée, ce qui était nécessaire pour l’accomplissement de la cérémonie du shraddha. Par conséquent, dans l’espoir d’avoir un fils, Citraketu épousa dix millions d’épouses, l’une après l’autre, comme indiqué dans le verset suivant :

tasya bhāryā-sahasrāṇāṁ sahasrāṇi daśābhavan
sāntānikaś cāpi nṛpo na lebhe tāsu santatim

« Il se maria, eut dix millions d’épouses, l’une après l’autre, et pourtant, ô roi, il ne put engendrer aucune progéniture en elles ». (SB 6.14.11)

Le texte dit que le roi avait dix millions (sahasranam sahasrani dasha, lit., « dix mille mille ») femmes, qui étaient toutes stériles et n’ont pu, de ce fait, lui donner d’enfant. Si ce chiffre était littéral, cela lui prendrait 27 397 ans en épousant une femme par jour. Étant donné une telle impossibilité, nous devons comprendre qu’il s’agit d’une description poétique. C’est ce qu’on appelle atisayokti-alankara, une hyperbole ou une expression impliquant l’exagération. Le Sahitya-darpana, mentionné ci-dessus, donne la définition de divers alankaras, y compris celle des atisayoktis, qui sont divisés en cinq types (10.46).

Le célèbre poète Dandin donne l’exemple suivant d’atisayokti :

« Portant des guirlandes de jasmin blanc et des draps de lin, leurs membres oints de pâte de santal, les dames en rendez-vous sont cachées au clair de lune ». (L’Agni Purana 3.44.26)

Ici, la blancheur des robes des jeunes filles est exagérée au point de les rendre invisibles au clair de lune. De même, l’intention derrière le chiffre dix millions d’épouses de Citraketu est de montrer l’intensité du désir du roi d’avoir un fils. Comme indiqué ci-dessus, le but de l’histoire est d’instiller le renoncement dans l’esprit du lecteur. L’esprit humain est plein de désirs et selon les écritures védiques, il y a trois désirs principaux : le désir d’éprouver du plaisir, le désir d’avoir une bonne vie future et le désir d’avoir une bonne progéniture. Aucun d’entre eux ne peut être complètement satisfait, comme nous le voyons dans l’histoire en question où le roi est incapable de satisfaire son désir d’avoir une bonne progéniture.

Le sage Angira bénit le roi Citraketu afin qu’il engendrât un fils dont le nom serait harsha-shoka prada (litt., « celui qui donne du plaisir et du chagrin »). Le roi fut fou de joie lorsque son fils eut finalement été engendré, mais sa joie se transforma en chagrin lorsque les coépouses de la mère de l’enfant eurent empoisonné son fils par envie. De ce fait, il resta insatisfait.

Leçons à tirer du sens figuré

Le sens figuré de cette histoire est que si le roi n’a pas pu réaliser ses désirs avec dix millions d’épouses et est donc resté insatisfait, comment une personne ordinaire peut-elle être satisfaite dans la vie matérielle, en n’ayant qu’une seule épouse qui plus est ? Citraketu était un roi et bien qu’il eût eu des millions d’épouses, il était frustré même après que son désir avait été exaucé. Par conséquent, comment une personne ordinaire, qui n’a qu’une seule épouse et de nombreux désirs, peut-elle être satisfaite ? 

Dans ce conte la femme symbolise le moyen de satisfaire les désirs. Ainsi, il est entendu que cet énoncé a été fait pour inculquer le détachement aux auditeurs et aux lecteurs du Bhagavata Purana, comme expliqué ci-dessus par Shukadeva Gosvami (SB 12.3.14).

Considérer l’expression « dix millions d’épouses » comme un alankara, cependant, ne signifie pas qu’il n’y eût pas de vraies épouses, car le roi en avait vraisemblablement beaucoup. Le nombre de dix millions d’épouses peut également désigner des états d’esprit (vrittis). Il existe des cas similaires où le Bhagavata Purana compare l’esprit et ses mouvements, les vrittis, aux épouses, comme dans le SB 4.29.5. Dans ce chapitre, Narada parle au roi Pracinabarhi lui racontant l’histoire allégorique du roi Puranjana qui est complètement entiché de sa reine Puranjani. Puranjani peut être comprise comme l’intelligence du roi Puranjana, mais elle est en même temps son épouse au sens littéral. Le fait que notre esprit peut avoir des millions de vrittis a été établi par Jada Bharata dans ses instructions au roi Rahugana. Il dit qu’il y a onze vrittis originaux qui se transforment en milliers puis en millions (SB 5.11.11). Le nom Citraketu lui-même semble indiquer un esprit plein de désirs divers (citra). Ainsi, la conclusion de l’histoire de Citraketu est que l’on ne peut pas devenir matériellement satisfait en essayant d’assouvir ses désirs illimités. La satisfaction ou l’épanouissement ne peuvent être expérimentés que si ces vrittis sont offerts à Dieu ou utilisés dans Son service. C’est exactement ce que Citraketu a fait plus tard. En conséquence, tous les détails du Bhagavata Purana ne sont pas censés être pris au pied de la lettre et nous devons utiliser soigneusement notre intelligence pour discerner le sens direct des sens implicite et figuré.

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