L’ontologie du jiva : Partie 1

Le présent article traite de la nature de l’être vivant individuel, appelé « jīva ». Il est fondé sur un commentaire des versets trois à sept du vingt-sixième chapitre du troisième chant du Śrīmad Bhāgavata, rédigé par Śrī Vīrarāghava Ācārya de la Śrī-sampradāya.

Le présent article traite de la nature de l’être vivant individuel, appelé « jīva ». Il est fondé sur un commentaire des versets trois à sept du vingt-sixième chapitre du troisième chant du Śrīmad Bhāgavata, rédigé par Śrī Vīrarāghava Ācārya de la Śrī-sampradāya. J’y ai inclus, lorsque nécessaire, mes propres explications.

Dans ce chapitre du Bhāgavata, le Seigneur Kapila expose la philosophie sāṅkhya à sa mère, Devahūti. Le principe fondamental du sāṅkhya consiste en la distinction entre la prakṛti (la matière) et le puruṣa (l’être conscient, qui inclut à la fois le jīva et le Paramātmā). Dans les deux premiers versets de ce chapitre, le Seigneur Kapila enseigne à sa mère l’importance de du sāṅkhya. Des versets trois à huit, il décrit le puruṣa et, ensuite, à partir du dixième verset et jusqu’à la fin du chapitre, Il s’attache à décrire la prakṛti.

anādir ātmā puruṣo nirguṇaḥ prakṛteḥ paraḥ
pratyag-dhāmā svayaṁ-jyotir viśvaṁ yena samanvitam
Le Srimad Bhagavata 3.26.3

« L’ātmā est le puruṣa sans commencement, au-delà des sens et exempt des guṇas de la nature matérielle. Il transcende la prakṛti, il est conscient, lumineux, possède une demeure spirituelle et imprègne l’univers. »

Dans ce verset et dans le suivant, le Seigneur Kapila donne des éclaircissements sur la nature du jīva, ou ātmā, en le distinguant de la prakṛti.

Le terme « puruṣa » renvoie ici au jīva. Deux caractéristiques essentielles de la nature du jīva sont décrites par les expressions « svayam-jyoti » et « pratyag-dhāma ».

Le terme « svayam-jyoti » signifie « auto-lumineux ». En d’autres termes, il décrit quelque chose qui s’illumine lui-même et éclaire également d’autres objets, tout comme une lampe s’illumine elle-même et éclaire les objets autour d’elle. Les objets qui ne produisent pas de lumière, tels qu’une table, nécessitent une source lumineuse pour être perçus. Cependant, une lampe, elle, n’a besoin d’aucune autre source pour être visible : elle est sa propre lumière. C’est ce que le terme « svayam-jyoti » signifie.

Ainsi, l’ātmā est-il semblable à une lampe ordinaire, insensible ? Le Seigneur Kapila répond à cette question en introduisant le terme « pratyag-dhāma ». L’ātmā n’est pas insensible. Il est, de par sa nature, conscient. Ce qui est capable de se révéler à soi-même est appelé « pratyak » (conscient). Les objets inertes, en revanche, ne se révèlent pas à eux-mêmes, ils sont perçus par d’autres, d’où leur qualification de parak (inerte, insensible). De ce fait, le terme « pratyag-dhāma » définit l’ātmā comme une entité intrinsèquement et naturellement consciente de soi-même. La différence fondamentale entre l’ātmā et d’autres sources lumineuses, comme une lampe, consiste en ceci que l’ātmā est une lumière sensible. Afin de souligner cette distinction, l’ātmā est souvent décrit comme jñāna-svarūpa (« une entité dont l’essence même est la conscience »).

Le terme « pratyag-dhāma » établit le fait que la conscience est l’essence intrinsèque de l’ātmā, tandis que le terme « svayam-jyoti » spécifie que la sensibilité (jñāna, ou connaissance, conscience) est un attribut de l’ātmā. C’est pourquoi l’ātmā peut également être désigné par « jñāna-guṇaka » (« une entité possédant la conscience »). Ainsi l’ātmā est-il, par nature, conscient et possède également la conscience comme son attribut. Cette conception s’oppose à la doctrine de l’advaitavāda, selon laquelle l’ātmā pur est simplement conscience, sans pour autant posséder la qualité de la conscience.

Cela peut être comparé à une bougie, dont la flamme, mesurant cinq centimètres de hauteur, est pratyag-dhāma (pleinement lumineuse par nature), tandis que son rayonnement est svayam-jyoti (la lumière qu’elle émet). L’éclat de la bougie illumine les objets environnants et la flamme s’éclaire elle-même. De la même manière, la conscience, en tant qu’attribut de l’ātmā, éclaire les objets autour de lui par son propre rayonnement, svayam-jyoti. La conscience, en tant que nature intrinsèque de l’ātmā, se révèle à elle-même, pratyag-dhāma. Ainsi, l’ātmā est à la fois pratyag-dhāma et svayam-jyoti : il éclaire à la fois lui-même et les autres objets.

En résumé, la différence entre la lumière de l’ātmā et celle d’une bougie consiste en ceci que la lumière d’une bougie ne peut révéler les objets qu’à un observateur externe, sans pouvoir se révéler à elle-même (ce qui en fait une entité parak-dhāma). L’ātmā, en revanche, est à la fois l’observateur des objets qu’il éclaire et de lui-même. Tant la bougie que l’ātmā possèdent la luminosité (svayam-jyoti), mais seul l’ātmā est un observateur conscient, conscient de lui-même.

L’ātmā se distingue des objets lumineux insensibles par sa sensibilité (jñāna-svarūpa / pratyag-dhāma) et il utilise sa conscience pour se comprendre lui-même ainsi qu’il utilise sa conscience pour comprendre les objets qui l’entourent (jñāna-guṇa / svayam-jyoti).

Le Seigneur Kapila décrit également l’ātmā comme étant « au-delà de la prakṛti » (prakṛteḥ paraḥ). Par nature, l’ātmā est totalement distinct des évolutions de la prakṛti, à savoir, le corps, les sens, l’esprit et les souffles vitaux. C’est pour cette raison que le Seigneur Kapila le décrit aussi comme nirguṇa, c’est-à-dire dépourvu des guṇas de la prakṛti, tels que sattva, rajas et tamas. Le Seigneur Kapila présente l’ātmā comme « imprégnant tout », car il entre dans un corps physique et le soutient. Par conséquent, il imprègne l’ensemble de l’univers, des corps grossiers et subtils, depuis Brahmā jusqu’au simple brin d’herbe.

Le Seigneur Kapila utilise le singulier du mot « yena » pour désigner l’ātmā en tant que catégorie du puruṣa. Cela n’implique pas, comme l’affirme l’advaitavāda, qu’il n’existe qu’un seul ātmā. Une entité peut en effet représenter une catégorie entière, tout comme il est dit : « Un grain de riz a nourri toute l’humanité ». L’usage de cette tournure grammaticale exprime que tous les corps – qu’ils soient ceux des devas ou d’autres êtres – sont imprégnés d’un type unique d’entité, l’ātmā, d’une extrême subtilité.

sa eṣa prakṛtiṁ sūkṣmāṁ daivīṁ guṇamayīṁ vibhu
yadṛcchayaivopagatām abhyapadyata līlayā
Le Srimad Bhagavata 3.26.4

« Bien qu’il soit très puissant, cet ātmā a été attiré par les qualités divines de la prakṛti subtile et s’est dirigé vers elle. La prakṛti s’est rapprochée de l’ātmā, conformément à la volonté du Seigneur ».

Le verset précédent décrivait l’ātmā comme imprégnant tous les corps matériels de l’univers, étant extrêmement subtil et dépourvu de commencement. Dans ce verset, les mots « sa eṣa » se réfèrent à l’ātmā dont il est question. Vibhu (littéralement « omniprésent ») est un adjectif qui qualifie l’ātmā, soulignant sa capacité à imprégner tous les types de corps en raison de sa grande subtilité. Comme l’ātmā est particulièrement « subtil », il doit être distinct du corps et de l’esprit. Il ne naît pas lorsque le corps qu’il habite naît, ni ne meurt lorsque ce corps meurt. Seul le corps naît et meurt, mais non l’ātmā.

Après avoir entendu cela, un doute peut surgir : « Si l’ātmā ne naît pas avec le corps, pourquoi alors éprouvons-nous une unité apparente entre le corps et l’ātmā, à tel point que nous ressentons et exprimons des choses comme : “Je suis un deva”, “Je suis un humain”, ou encore “Je suis gros”, etc. ? »

Le présent verset répond à ce doute. Les caractéristiques associées à un corps — telles que « Je suis un deva » ou « Je suis gros » — se superposent à l’ātmā en conséquence des bonnes ou mauvaises actions accomplies dans le passé. Par conséquent, l’ātmā n’est pas né avec le corps. Pour clarifier ce point, le Seigneur Kapila utilise une métaphore : de la même manière qu’une personne qui rêve voit tout disparaître lorsqu’elle se réveille, tout en restant elle-même indemne, lorsque l’ātmā s’éveille du rêve de l’identification avec le corps, ce dernier est détruit, mais l’ātmā demeure intact.

Un autre doute peut néanmoins subsister : « Si l’ātmā est distinct du corps et du monde, comment peut-il interagir avec ce dernier, et comment peut-il jouir ou subir les résultats des actions ? Si l’ātmā et la prakṛti sont des entités fondamentalement différentes, comment peuvent-ils interagir et s’unir ? »

Le Seigneur Kapila répond en expliquant que la prakṛti donne à l’ātmā l’illusion d’être un acteur dans le monde. Il détaillera dans le verset suivant la manière dont cette interaction permet à l’ātmā et à la prakṛti de former une union.

Le verset actuel décrit la prakṛti avec l’adjectif « sūkṣmam » (littéralement, « subtil »), signifiant que l’état de la prakṛti est extrêmement subtil, sans aucune possibilité de divisions en termes de nom ou de forme. Nous comprenons alors que ce verset se réfère à une condition primordiale au début de la création, car c’est seulement à ce moment-là que la prakṛti existe dans cet état subtil et non manifesté (sūkṣmam). Autrement dit, la relation entre l’ātmā et la prakṛti ne s’est pas établie à un moment précis de l’histoire, mais bien avant l’activation des guṇas par le temps : elle est alors sans commencement (anādi).

La dissolution universelle n’anéantit que les corps grossiers et subtils des ātmās, qui entrent indemnes dans le corps du Seigneur Viṣṇu. Toutefois, le karma accumulé (saṃcita) de chaque ātmā persiste même durant la période de dissolution. Lors de la création suivante, Viṣṇu réintroduit ces ātmās dans la prakṛti par Son regard. Telle est la signification des propos du Seigneur Kṛṣṇa dans la Bhagavad Gītā (14.2) :

« La nature matérielle (Brahman) est Ma grande matrice dans laquelle Je dépose la semence de tous les êtres. De cela, ô descendant de Bharata, découle la naissance de tous les êtres ».

À ce moment-là, la prakṛti est dans son état subtil (sūkṣma) et elle fonctionne en accord avec le līlā du Seigneur Viṣṇu (daivīm).

À suivre.

Notify me of new articles

Post comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *

  • Satyanarayana Dasa

    Satyanarayana Dasa
  • Daily Bhakti Byte

    It is better to have a physical sickness like a fever or diarrhea, than to be tortured by your own mind. A fever is visible – you may look feverish in your face, or your skin is hot to the touch. But when something is torturing your mind, it is not easy to see, yet the suffering is there. Mental suffering is subtle and thus difficult to get rid of.

    — Babaji Satyanarayana Dasa
  • Videos with Bababji

  • Payment

  • Subscribe

  • Article Archive

  • Chronological Archive

© 2017 JIVA.ORG. All rights reserved.